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Vous voulez bâtir une entreprise à 1 milliard de dollars en Asie du Sud-Est ? Commencez par identifier un problème

Lors du Singapore Tech Forum qui s'est tenu en avril dernier à San Francisco, deux fondateurs de startups ont expliqué comment ils ont bâti leur entreprise en résolvant des problèmes rencontrés quotidiennement par des millions de personnes en Asie du Sud-Est, et pourquoi ils l’ont fait depuis Singapour.

Derrière chaque démarrage de startup réussie, il y a un problème.

Pour Quek Siu Rui, co-fondateur de l'application Carousell (une plateforme de vente en ligne), le problème qui a déclenché cette odyssée de sept ans, pour aboutir à l'une des startups les plus prospères d'Asie du Sud-Est était sa frustration de ne pouvoir vendre les livres, ordinateurs portables et appareils photo dont il n’avait plus besoin en tant qu’étudiant à l'Université Nationale de Singapour.

"Si vous avez déjà acheté ou vendu quelque chose sur un forum ou un site de petites annonces, vous vous souvenez surement à quel point il était difficile de répertorier un article ou de trouver quelque chose que vous recherchiez", dit-il. Avec des amis, il a commencé à se demander si ce processus fastidieux pouvait être simplifié à l’aide d’une chose que tout le monde utilisait déjà : un smartphone.

« L’idée était que vendre devait être aussi simple que de prendre une photo et acheter aussi simple que de chatter », explique M. Quek.

En mars 2012, l'idée d'une application mobile de petites annonces était née et M. Quek et ses amis créaient le premier prototype de Carousell lors du Startup Weekend Singapore, un hackathon de 54 heures. Il remporta le premier prix et fut si bien accueilli que certaines personnes demandèrent à télécharger l'application immédiatement.

Un an avant la création de Carousell, dans les couloirs prestigieux de l'Université de Harvard, les étudiants malaisiens Tan Hooi Ling et Anthony Tan faisaient partie d'une équipe qui travaillait sur la conception d’une solution à un tout autre problème - les problèmes de transport auxquels leurs compatriotes étaient confrontés.

 « À cette époque, beaucoup de Malaisiens redoutaient de monter seuls à bord d’un taxi, en particulier   les femmes, craignant pour leur sécurité. Les touristes se plaignaient fréquemment de difficultés à trouver des taxis et de l’habitude de certains chauffeurs à surfacturer », explique Mme Tan.

Elle-même fut confrontée à ces difficultés, ce qui l’inspira pour mettre au point une solution. L'équipe a fini par concevoir une application mobile de services de transport à la demande, qui a remporté la deuxième place du concours Harvard Business Plan en 2011.

Aujourd'hui, leur entreprise, Grab, est la première décacorne de la région, évaluée à plus de 10 milliards de US dollars. Grab a effectué sa troisième milliardième course en janvier, opère dans 336 villes de huit pays d'Asie du Sud-Est, et son application a été téléchargée plus de 152 millions de fois.

De même, Carousell a parcouru un long chemin. La startup est actuellement évaluée à plus de 500 millions de US dollars et a généré plus de 70 millions d'échanges de biens depuis son lancement. La société a déjà conquis sept marchés clés d’Asie du Sud-Est et enregistre près d'une nouvelle inscription par seconde sur ses plateformes.

La clé du succès de ces entreprises ? Avoir résolu des problèmes qui en ont frustré beaucoup d'autres.

« Nous avons réalisé que le problème que nous résolvions bénéficierait à bien d’autres personnes que nous, et cela nous a donné confiance pour nous lancer à plein temps dans l’aventure Carousell », explique M. Quek.

 

Transformer les problèmes en opportunités en Asie du Sud-Est

Si la résolution d'un problème commun est la clé du succès, il n'y a pas de meilleur endroit que l’Asie du Sud-Est pour une startup.

La région, l'un des marchés les plus en croissance au monde, abrite près de 640 millions de consommateurs, dont la moitié a moins de 30 ans. La population jeune et ultra-connectée est réceptive à ce que l'économie numérique peut offrir.

Et cette économie numérique, indique Google dans son rapport e-conomy SEA de 2018, atteindra 240 millions de US dollars en 2025. Ce rapport décrit la croissance comme étant alimentée par « les utilisateurs d'Internet mobile les plus connectés au monde ». Rien que pour les services de transport à la demande, plus de 35 millions d'utilisateurs dans plus de 500 villes effectuent plus de huit millions de trajets par jour.

« Notre focus sur l'Asie du Sud-Est a été réfléchi dès le premier jour », affirme Mme Tan. « En fait, nous avons consciemment décidé de ne pas penser “global” car nous connaissions le potentiel de croissance de la région, en particulier avec l’émergence de la technologie mobile. »

Elle ajoute : « Nous avons décelé une opportunité. Nous avons vu un marché au potentiel énorme avec des besoins locaux insatisfaits, et la capacité de la technologie mobile pour nous aider à franchir des étapes qui n'étaient pas envisageables auparavant. Il y a une démocratisation continue de la technologie où les prix des smartphones et des forfaits internet baissent, débloquant ainsi des services numériques pour des millions de personnes. »

Pour Carousell, l’enrichissement de la population offre une opportunité unique.

« Alors que de nouvelles économies émergent et que les gens prospèrent, la consommation explose. Cependant, ce double phénomène pousse les gens à surconsommer et donc à jeter davantage ce qui entraîne une pollution de l'environnement », explique M. Quek. « Carrousel voit une opportunité incroyable de simplifier l'achat et la vente, afin de trouver facilement de nouveaux acquéreurs pour les objets devenus inutiles. »

 

« Carousel voit une opportunité incroyable en privilégiant l’approche via les smartphones pour simplifier l’achat et la vente, afin que les gens trouvent facilement repreneur pour les objets dont ils n’ont plus l’inutilité », dit Quek Siu Rui, co-fondateur de l’application mobile Carousell. L’an dernier, l’entreprise a lancé sa plate-forme intégrée de paiement, CarouPay, rendant les transactions sur son application encore plus aisées.

Se développer depuis Singapour

Les deux sociétés ont choisi de s’implanter à Singapour et d’en faire leur hub régional.

L’écosystème d’affaires compact mais diversifié de la cité-État est une des raisons pour lesquelles les startups peuvent facilement trouver des partenaires au sein des multinationales, des agences gouvernementales, des instituts de recherche, etc., afin de tester et développer leurs solutions.

Prenez Grab par exemple. L'entreprise a choisi de créer son siège régional et de piloter bon nombre de ses services depuis Singapour avant de les déployer à l'échelle régionale.

« Nous avons par exemple pu, avec le soutien de la Land Transport Authority de Singapour et en collaborant avec des sociétés de taxi locales, tester JustGrab à Singapour, puis le déployer dans toute la région. Nous avons également lancé GrabShuttle en partenariat avec GovTech », explique Mme Tan. GovTech est l'agence gouvernementale singapourienne responsable des services numériques gouvernementaux au public.

 

Grab a testé JustGrab à Singapour et l’a lancé en 2017. Le nouveau service offre aux passagers le trajet le plus proche possible, soit en taxi ou en VTC, à un tarif fixe. Grab a élargi sa gamme d’options de taxi à la demande dans la région pour inclure des services de navette comme GrabShuttle à Singapour, et GrabBike, un service de moto à la demande, en Indonésie.

Grab a également établi d'autres partenariats pour développer des services à long terme. La société a lancé AI Lab en collaboration avec l'Université Nationale de Singapour l'année dernière, permettant aux chercheurs et aux étudiants de co-créer des solutions intelligentes de transport urbain. Ces collaborations combinent le savoir-faire des entreprises à l'expertise spécifique des instituts de recherche pour mettre au point et tester des solutions avant de les déployer à l'échelle régionale.

L’écosystème florissant de startups de Singapour est également mis en avant par M. Quek, qui déclare : « Le gouvernement et le secteur privé soutiennent de plus en plus les entrepreneurs à Singapour, ce qui a encouragé l’émergence de startups très innovantes ici. Nous avons également vu de nombreux VC internationaux s'installer à Singapour au cours des deux dernières années, et ils ont eux aussi engagé des fonds pour financer des startups. »

L'année dernière, 353 accords de financement d'une valeur de 10,5 milliards de US dollars ont été conclus par des startups à Singapour. Le rapport 2019 Startup Genome Global Startup Ecosystem a également positionné la cité-État aux côtés de la Silicon Valley, de New York, de Londres, de Sydney et de Dublin parmi les 30 meilleurs écosystèmes mondiaux de startups. Son écosystème de startups était valorisé à 25 milliards de US dollars et classé parmi les trois premiers mondiaux en termes de connectivité, performance, expérience et talents.

Alors que Grab puise dans un bassin de talents qualifiés à Singapour, l’entreprise a découvert un environnement idéal pour développer une équipe compétitive à l'échelle mondiale.

« La société singapourienne est multiculturelle ce qui facilite l’intégration des nombreuses nationalités qui travaillent chez Grab », explique Mme Tan dont la société emploie des talents de plus de 52 pays.

La diversité singapourienne reflète également les différentes cultures qui coexistent dans la région. « Les villes d'Asie du Sud-Est sont très différenciées », explique M. Quek. « En tant que startup basée à Singapour, nous avons grandi entourés de ces différences et savions que nous devions commencer localement avant de nous internationaliser. Nous avons des équipes locales sur tous nos marchés, pour nous assurer que tout ce que nous faisons est pertinent et résonne auprès de nos utilisateurs dans tous ces pays. »

Gérer une entreprise à vocation communautaire

En gardant à l'esprit les problèmes qu'ils souhaitent résoudre et les besoins auxquels ils espèrent répondre, Grab et Carousell continuent de changer des vies chaque jour en Asie du Sud-Est.

C'est cette mission partagée de création d’opportunités nouvelles dans la région, qui les fait perdurer année après année.

« Si je pouvais revenir en 2012, les quelques conseils que je me donnerais serait de me rappeler pourquoi je fais ce que je fais, car c’est un voyage de plusieurs années qui débute. Même après sept ans, j'ai l'impression que je n'ai achevé qu'un pour cent de cette aventure », ironise M. Quek en riant.

 

Article traduit en français par la French Chamber of Commerce in Singapore.  Retrouver l’article original sur le site de l’EDB.

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